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LIVRE QUATRIÉME.

Vit trois jours d’un festu qu’elle a traîné chez soy.
Mais, ma mignonne, dites-moy,
Vous campez-vous jamais sur la teste d’un Roy,
D’un Empereur, ou d’une belle ?
Je le fais ; et je baise un beau sein quand je veux ;
Je me jouë entre des cheveux :
Je rehausse d’un teint la blancheur naturelle :
Et la derniere main que met à sa beauté
Une femme allant en conqueste,
C’est un ajustement des Moûches emprunté.
Puis allez-moy rompre la teste
De vos greniers. Avez-vous dit ?
Luy repliqua la ménagere.
Vous hantez les Palais : mais on vous y maudit.
Et quant à goûter la premiere
De ce qu’on sert devant les Dieux,
Croyez-vous qu’il en vaille mieux ?
Si vous entrez partout, aussi font les profanes.
Sur la teste des Rois et sur celle des Asnes
Vous allez vous planter ; je n’en disconviens pas,
Et je sçais que d’un prompt trépas
Cette importunité bien souvent est punie.
Certain ajustement, dites-vous, rend jolie ;
J’en conviens : il est noir ainsi que vous et moy.
Je veux qu’il ait nom Moûche, est-ce un sujet pourquoy
Vous fassiez sonner vos merites ?
Nomme-t-on pas aussi Moûches les parasites ?
Cessez donc de tenir un langage si vain :
N’ayez plus ces hautes pensées.
Les Moûches de Cour sont chassées :
Les Moûcharts sont pendus ; et vous mourrez de faim,
De froid, de langueur, de misere,
Quand Phœbus régnera sur un autre hemisphere.
Alors je joüiray du fruit de mes travaux.
Je n’iray par monts ny par vaux
M’exposer au yent, à la pluye.
Je vivray sans mélancolie.
Le soin que j’auray pris, de soin m’exemptera.