Page:La Fayette, Tencin, Fontaines - Œuvres complètes, Lepetit, 1820, tome 1.djvu/236

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le traitez, il vous le dira bientôt, et les espérances que votre procédé lui donne, le feront passer aisément sur les scrupules que notre amitié lui donnait.

— Peut-on avoir perdu la raison au point que vous l'avez perdue ? me répondit Bélasire. Songez-vous bien à vos paroles ? Vous dites que don Manrique me parle pour vous, qu'il est amoureux de moi et qu'il ne me parle point pour lui ; où pouvez-vous prendre des choses si peu vraisemblables ? N'est-il pas vrai que vous croyez que je vous aime et que vous croyez que don Manrique vous aime aussi ?

— Il est vrai, lui répondis-je, que je crois l'un et l'autre.

— Et si vous le croyez, s'écria-t-elle, comment pouvez-vous vous imaginer que je vous aime et que j'aime don Manrique ? Que don Manrique m'aime, et qu'il vous aime encore ? Alphonse, vous me donnez un déplaisir mortel de me faire connaître le dérèglement de votre esprit ; je vois bien que c'est un mal incurable et qu'il faudrait qu'en me résolvant à vous épouser, je me résolusse en même temps à être la plus malheureuse personne du monde. Je vous aime assurément beaucoup, mais non pas assez pour vous acheter à ce prix. Les jalousies des amants ne sont que fâcheuses, mais celles des maris sont fâcheuses et offensantes. Vous me faites voir si clairement tout ce que j'aurais à souffrir, si je vous avais épousé, que je ne crois pas que je vous épouse jamais. Je vous aime trop pour n'être pas sensiblement touchée de voir que je ne passerai pas ma vie avec vous, comme je l'avais espéré; laissez-moi seule, je vous en conjure, vos paroles et votre vue ne feraient qu'augmenter ma douleur.

À