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Abé, subst. masc. Père. Titre donné aux personnes constituées en dignité.

La signification propre du mot Abbé, est celle de Père. C'est en ce sens que ce nom a été donné à Jésus-Christ, même en notre langue.

.... del bon Abé

Jesus

Anc. Poët. Fr. MSS. avant 1300, T. IV, p. 1327.

Une dissertation qui se trouve dans l'Histoire de l'Abbé Suger, retrace les diverses significations que ce mot a eues en divers temps, comme titre donné aux personnes constituées en dignité, soit Ecclésiastiques, soit Laïques.

L'usage le plus commun qu'on en ait fait, a été pour désigner ceux qui possédoient les dignités ecclésiastiques, et plus particulièrement le Supérieur d'un Monastère.

Nous observerons ici, avec le P. Menestrier, que l'on trouve sur les armoiries des Abbés, les marques de leur dignité, il y a plus de trois cents ans. (Ornem. des Arm. p. 142.) Nous remarquerons aussi avec D. Mabillon, que le pouvoir des Abbés dans les choses sacrées, au IXe siècle, s'étendoit à excommunier les Laïques, donner la tonsure, et faire des dédicaces d'Eglises. (Rec. des Pref. de Mabillon, p. 377 et suiv.)

" Abbat dey clouchié, " Abbé des cloches, est le titre encore subsistant d'une dignité dans la Cathédrale du Puy-en-Vélay. (Journal de Trév. Avril 1734, p. 761) ; c'est aussi le titre du sonneur des cloches dans l'église d'Annecy. (Voy. Du Cange, Gloss. lat. au mot Abbas clocherii, col. 33.)

Il y avoit anciennement des " Abbés séculiers qui jouissoient des Abbayes par concession des Rois, et en disposoient comme de leur propre... Filesac l'a montré par plusieurs exemples des deux premières Races. " (Voy. Mém. hist. et crit. de Mézeray, T. I, p. 2.) On y rapporte plusieurs exemples de cet abus. On y lit aussi que les laïques, même mariés, prenoient le nom d'Abbés ; quelquefois d'Archi-abbés. (Ibid. p. 3. - Voy. ARCHIABBÉ ci-après.)

Dans le XVIe siècle l'abus de disposer des Bénéfices en faveur de toutes sortes de personnes, étoit à son comble. Dans la harangue faite par l'Évêque de Valence à l'Assemblée des trois États à Fontainebleau, en présence de François II, on lit : " Les Cardinaulx et les Evesques n'ont fait difficulté de bailler les Bénéfices à leurs Maistres d'Hostels, et qui plus est, à leurs Vallets de chambre, Cuisiniers, Barbiers et Lacquais. " (Mém. de Condé, in-

4°. T. I, p. 560.)

Vers 1569, vingt-huit Évêchés, et presque toutes les Abbayes étoient possédés par des laïques ; et dans le Conseil du Roi, on adjugea un Évêché à une femme. (Hist. de De Thou, t. VIII, p. 93.)

On lit dans Pasquier, que les Bénéfices étoient donnés à des Custodinos, qui les gardoient pour des laïques, et quelquefois pour des Huguenots. (Lett. t. II, p. 608.)

Sous Charles IX on voit des Bénéfices donnés en


mariage et en douaire. (Hist. d'Aubigné, T. II. p. 5. - Voy. ci-après BÉNÉFICE.)

Le titre d'Abbé de St-Martin de Tours, est un titre que prennent les Rois de France. (Galland, des anc. Enseig. et Étend. de Fr. p. 5.)

Pasquier dit dans ses Recherches, liv. III, p. 279, " qu'il ne faut faire nul doute que du temps de la première institution des Abbés et Moines, c'étoient personnes séculières qui ne tenoient nul degré en l'Eglise. "

On nomme en Béarn Abbats laïcs, ceux qui possèdent les dixmes des Villages et qui nomment aux Cures. (Voy. Du Cange, Gloss. Lat. au mot Abbas laïcus, col. 27, et Laur. Gloss. du Dr. Fr.)

Les Abbés chevaliers étoient les champions des Monastères. (La Colomb. Théat. d'honn. T. I, p. 37.) Dans le Cartulaire de Moissac, l'Abbé chevalier, Abbas miles, levoit des droits sur les biens d'une Abbaye, pour la défendre et la protéger. Les Abbés chevaliers étoient en quelque sorte aux gages des Moines. (Voy. Mézeray.)

Les Génois, dans le XIVe siècle, nommoient le Chef de leur république Abbé du Peuple. (Voy. leurs Historiens.)

Dans l'Histoire de Du Guesclin, par Menard, on trouve " Abbé de Malle-paye " pour désigner Alain de Taillerail, servant à la guerre. (Voy. pp. 455 et 491.)

Enfin Furetière observe dans son Roman bourgeois, T. I, p. 7, que de son temps on appeloit Abbés, les jeunes gens de bonne famille qui étoient tonsurés, quoiqu'ils n'eussent pas d'Abbayes. Cet usage ou plutôt cet abus, est aujourd'hui encore plus étendu.

On abusoit aussi de ce nom en l'appliquant aux chefs de certaines sociétés, dont les plaisirs qui en faisoient le lien, n'offroient qu'un mélange, souvent criminel et toujours ridicule, de licence et de superstition. Ainsi nous trouvons :

1° L'Abbé de Liesse et des moines à Arras. On peut voir les spectacles burlesques qu'ils donnoient ; l'association de l'Abbé de Liesse avec le Prince de Plaisance ; et le Roi des Sots de Lille, dans les Mém. sur l'Hist. d'Artois, par M. Harduin, pp. 19, 46, 63, 75 et 204.

2° L'Abbé du Clergé, ou de la Mal-gouverne, ou de la fête de l'âne. L'Abbé du Clergé étoit un jeune Clerc que le bas choeur élisoit dans une de ces ridicules cérémonies que la simplicité de nos pères avoit introduites. (Voyez ces cérémonies décrites par M. Lancelot, d'après un rituel MS. de Viviers, dans le T. VII de l'Hist. de l'Acad. des Bell. Lett. p. 255) ; on y cite un jugement du 31 Mars 1406, rendu par des arbitres, contre un homme qui avoit été élu Abbé du Clergé, et qui ne vouloit point l'être et encore moins donner le repas qu'il devoit en cette qualité.

Cet Abbé du Clergé se nommoit à Rhodez l'Abbé de la Mal-gouverne, ou de la fête de l'âne. (Voy. Du Tilliot, Hist. de la Fête des fols, p. 22 et suiv.)

3° L'Abbé des Cornards ou des Chansonniers et