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dont on a peine à se départir : on croit ne pouvoir se dispenser d’en faire usage : on s’y complaît, on les conserve comme s’ils devoient nécessairement piquer la curiosité ; mais le lecteur impartial reçoit souvent avec froideur et quelquefois avec dédain ce que l’Auteur lui présente avec enthousiasme. On a beau vouloir être en garde contre la prévention ; il est difficile, en certains cas, de tenir toujours la balance égale entre son propre goût et celui des autres. Il me sera sans doute arrivé plus d’une fois de passer les bornes que j’ai eu intention de me prescrire ; mais j’ose espérer qu’on voudra bien avoir pour moi quelqu’indulgence : ce n’est pas trop demander pour les peines que j’ai prises.

Quoique le but principal de cet Ouvrage soit de donner ou de faciliter l’intelligence du langage de nos anciens Ecrivains, on ne se bornera pas cependant à rapporter tous les mots dont ils se servent et qui sont maintenant inusités : on y joindra les mots qui nous sont encore familiers, mais qui eurent autrefois une signification différente de celle que nous leur donnons. On s’attachera dans tous ces articles à démêler d’abord leur sens propre ; ensuite on expliquera suivant l’ordre progressif des idées, qui paroîtra le plus naturel, les autres significations plus étendues et quelquefois détournées qu’ils ont eues depuis ; soit qu’ils aient conservé la même forme, soit qu’ils aient éprouvé quelques foibles altérations.

Chaque acception du mot sera toujours prouvée par une ou deux autorités ; et l’on indiquera par des renvois les autres Auteurs qui auront employé le mot dans le même sens. Si le lecteur n’est pas entièrement satisfait de nos explications, il pourra, moyennant ces renvois, s’assurer par lui-même si elles s’accordent avec l’usage que les Ecrivains indiqués auront fait du même mot. Supposé qu’il trouve dans ces Auteurs notre justification, et des moyens de lever ses doutes, nous nous en applaudirons ; s’il y rencontroit des significations opposées aux nôtres, ou qui n’y seroient pas exactement conformes, nous ne laisserions pas encore de nous en applaudir. Comme nous cherchons autant à nous instruire qu’à instruire les autres, nous désirons que nos méprises soient relevées. Nous serons trop contents d’avoir fourni des armes à ceux qui combattront nos erreurs : nous ne cherchons que la vérité.

À la vue de certains passages qui accompagnent notre explication, on pourra dire quelquefois que le sens de ces textes est si clair que ce n’était pas la peine de faire des articles pour des mots qui s’expliquent d’eux-mêmes. Mais je supplie ceux qui me feront cette objection de penser que la comparaison de ces passages multipliés a souvent été l’unique voie qui nous ait conduits à l’intelligence du mot ; que sur un grand nombre de phrases où il se rencontre, nous avons choisi celles qui pouvoient en moins de paroles en donner l’interprétation la plus nette et la plus incontestable ; mais que ces mots se trouvent souvent confondus avec des mots inintelligibles dans d’autres phrases louches, obscures, embarrassées ; dans des manuscrits difficiles à lire, dans des textes corrompus ou défectueux, où, sans les autres exemples que nous citons, il étoit impossible de les deviner.

À l’égard des mots dont la signification nous sera totalement inconnue, ou sur lesquels on n’a jusqu’ici que des soupçons et des conjectures, nous rapporterons en entier tous les passages où nous les aurons remarqués ; d’une part ces citations accumulées pourront dissiper les doutes des lecteurs et lever leurs difficultés ; de l’autre ils apporteront au mot dont la signification est ignorée quelques degrés de lumière ; et cette foible lueur, jointe à celle que fourniront d’autres passages qu’on pourra déterrer dans la suite, achèvera peut-être un jour de donner tous les éclaircissements que nous cherchons.

Des significations primitives et secondaires, nous passerons aux acceptions métaphoriques ou figurées qui sont encore plus abondantes chez les peuples dont la barbarie et la grossièreté a fait long-temps le caractère, que chez les nations où l’esprit et la politesse ont régné pendant plusieurs siècles. Très-souvent la signification accessoire est devenue la principale, et quelquefois a fait disparoître la signification originaire. Ces termes métaphoriques une fois admis dans l’usage universel, n’appartiennent pas moins à la langue que les mots pris dans le sens propre : ils ont dû nécessairement entrer dans notre Glossaire. Mais il est une autre classe de termes métaphoriques différents de ces premiers. Je parle de ceux que chacun se faisoit à sa fantaisie. On voit bien en général que nos vieux Auteurs sont remplis de mots de cette espèce. Nos Poëtes sur-tout en imaginent, en forment un nombre prodigieux. Dans cette foule innombrable de métaphores fabriquées à plaisir, et qui périssoient en naissant, comment, au travers d’une antiquité si reculée, démêler celles qui appartenoient à notre Langue, de celles qui n’étoient que le jargon de tel ou de tel Ecrivain ? Comment discerner celles qui firent quelque fortune, et qui du moins pour un temps furent adoptées ? Nous n’avons pas toujours assez de pièces de comparaison pour faire ce triage. Falloit-il admettre dans notre collection tous ces termes métaphoriques ? Falloit-il les en exclure indistinctement ? N’ayant point de règle certaine qui put nous fixer sur le choix, nous nous sommes laissés aller au hasard ; et peut-être nous y sommes-nous trop livrés. Peut-être trouvera-t-on que nous avons admis un trop grand nombre de ces différentes significations. Mais elles serviront du moins à mieux entendre les passages où elles sont employées : elles feront connoître le génie des Auteurs, et pourront justifier l’explication que nous aurons donnée à d’autres mots formés selon la même analogie : ce seront quelquefois des énigmes, des rébus, des logogryphes, qui donneront le moyen d’en deviner d’autres.

On a dit par exemple : Payer lance sus fautre. Il seroit difficile d’assigner la véritable signification de