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DE L'IMPUDENT
ou de celui qui ne rougit de rien

L'impudence est facile à définir : il suffit de dire que c'est une profession ouverte d'une plaisanterie outrée, comme de ce qu'il y a de plus honteux et de plus contraire à la bienséance. Celui-là, par exemple, est impudent, qui voyant venir vers lui une femme de condition, feint dans ce moment quelque besoin pour avoir occasion de se montrer à elle d'une manière deshonnête ; qui se plaît à battre des mains au théâtre lorsque tout le monde se taît, ou y siffler les Acteurs que les autres voient & écoutent avec plaisir ; qui, couché sur le dos, pendant que toute l'assemblée garde un profond silence, fait entendre de sales hoquets qui obligent les spectateurs de tourner la tête & d'interrompre leur attention. Un homme de ce caractère achète en plein marché des noix, des pommes, toute sorte de fruits, les mange, cause debout avec la Fruitière, appelle par leurs noms ceux qui passent sans presque les connaître, en arrête d'autres qui courent par la place et qui ont leurs affaires ; & s'il voit venir quelque plaideur, il l'aborde, le raille & le félicite sur une cause importante qu'il vient de perdre. Il va lui-même choisir de la viande, & loüer pour un souper des femmes qui jouent de la flûte ; & montrant à ceux qu'il rencontre ce qu'il vient d'acheter, il les convie en riant d'en venir manger. On le voit s'arrêter devant la boutique d'un Barbier ou d'un Parfumeur, et là [1]annoncer qu'il va faire un grand repas et s'enivrer. Si quelquefois il vend du vin, il le fait mêler, pour ses amis

  1. Il y avoit des gens faineans & dés-occupez, qui s'assembloient dans leurs boutiques.