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Aussitôt arrivé, Burie assemble encore la noblesse de l’Agenais dans la grande salle de l’évêché, et on lui expose les principales questions religieuses, parmi lesquelles la prise du couvent des jacobins occupait le premier rang. Burie, paraît-il, ne tenait pas outre mesure à réintégrer les moines dans leur ancienne retraite. C’est La Boétie, qui le détermina à cela, convaincu lui-même par les instances du sénéchal Bajaumont[1]. « Cependant, dit de Bèze, qui raconte en détail toute cette période, Béjaumont et les autres firent tant envers La Boétie, conseiller, combien qu’il ne se souciast pas beaucoup de la religion romaine, qu’il prit la cause des jacopins en main à bon escient, alléguant à Burie, entre autres inconvéniens, que ceux de la Religion avoient le bruit de faire plusieurs monopoles, et de se vouloir cantonner : à quoy leur pourroit grandement ayder ce couvent respondant hors la ville, et situé en lieu fort et de défense[2]. » Bèze ajoute que Burie fut « tellement persuadé par La Boétie, que le dixiesme du dict mois d’octobre, il remit les jacopins tant en leurs temples qu’en leur couvent, où ils commencèrent incontinent leur service[3]. »

La mesure, au demeurant, n’avait rien de vexatoire : elle ne faisait que restituer aux religieux une propriété dont ils avaient été indûment chassés, et La Boétie, s’il l’a provoquée, rendait un arrêt digne en tous points de sa conscience de jurisconsulte. D’ailleurs, comme compensation, Burie donna aux huguenots l’autorisation de célébrer leur liturgie dans l’église Sainte-Foy d’Agen. Mais, en même temps, il faisait défense formelle aux réformés de s’emparer, sous peine de la hart, des édifices catholiques, et de plus, concession vraiment remarquable pour le temps, et à laquelle La Boétie ne dut pas rester étranger, il décida que, dans les localités où se trouvaient deux églises, la moins importante d’entre elles appartiendrait aux réformes, et que, dans les bourgs où il n’y avait qu’un temple, celui-ci servirait alternativement aux deux cultes.

Cette décision était trop libérale pour le XVIe siècle. Fut-elle jamais appliquée ? En tous cas, on ne l’observa pas longtemps. À peine Burie avait-il quitté Agen pour continuer ailleurs sa mis-

  1. François de Durfort, seigneur de Bajaumont, près d’Agen.
  2. Théodore de Bèze, Histoire ecclésiastique des églises reformées au Royaume de France, Anvers (Genève), 1580, t. I, pp. 795-799. De Thou, qui résume ces événements d’après Théodore de Bèze, ne manquait pas de rappeler qu’Estienne de La Boétie accompagne Burie à Agen. (Histoire universelle, La Haye, 1740, t. III, p. 284.)
  3. À propos de la rentrée des moines, de Bèze raconte une anecdote qui sent plutot le pamphlétaire que l’historien.