Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/281

Cette page n’a pas encore été corrigée

délivrassent de mes maux. Naguère, au milieu du peuple fortuné des Phéaciens, tu m'as, il est vrai, rassuré par tes paroles, et je fus par toi-même conduit dans leur ville. J'embrasse donc tes genoux, ô déesse ; je te supplie, au nom de ton père (je crains de n'être pas encore dans l'île d'Ithaque, mais sur une terre étrangère : c'est, je pense, pour me railler et séduire mon esprit que tu parles ainsi ), de me dire si réellement je suis dans ma chère patrie. »

Minerve aux yeux d'azur réplique par ces mots :


« Ta poitrine renferme toujours les mêmes pensées. Je ne puis cependant pas t'abandonner dans l'infortune ; car tu es à la fois bienveillant[1], ingénieux et sage. Tout autre, sans hésiter, serait allé dans sa maison, au retour de ses longs voyages, pour revoir sa femme et ses enfants ; mais toi tu ne veux rien connaître, tu ne veux rien apprendre avant d'avoir éprouvé ton épouse, qui repose tristement dans sa demeure et passe ses jours et ses nuits dans les larmes. Ulysse, j'étais persuadée qu'un jour tu reviendrais en ces lieux après avoir perdu tous tes compagnons ; mais je ne voulais point lutter avec Neptune, le frère de mon père, Neptune qui te poursuit sans cesse de sa vengeance, furieux de ce que tu privas jadis de la vue son fils bien-aimé. Mais pour bien te convaincre, je viens te montrer le pays d'Ithaque. Voici le port de Phorcyne, du vieillard de la mer : à son sommet s'élève l'olivier aux larges feuilles, voici tout près l'antre agréable et profond, retraite sacrée des nymphes qui sont appelées Naïades ; c'est dans cette sombre grotte que souvent toi-même tu sacrifias aux nymphes de parfaites hécatombes. Enfin, voici le mont Nérite, ombragé de forêts. »

En parlant ainsi, la déesse dissipe le nuage ; soudain toute la contrée apparaît aux yeux d'Ulysse. L'intrépide héros, en revoyant sa patrie, goûte une douce joie, et baise la terre féconde ; puis, élevant ses mains, il implore les nymphes en ces termes :


« Nymphes Naïades, filles de Jupiter, je n'espérais plus vous

  1. Dugas-Montbel a commis ici un non-sens en traduisant ἐπητής (affable) par éloquent. Homère ne donne point cette épithète à ceux qui parlent, mais au contraire, à ceux à qui l’on parle, ce qui est fort différent.