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vus de liens, lorsqu'ils entrent dans cette enceinte. Au sommet du port s'élève un olivier au feuillage touffu. Tout près de cet arbre est un antre obscur et délicieux consacré aux nymphes appelées Naïades. Dans l'intérieur de l'antre se trouvent des cratères et des amphores de pierre dans lesquels les abeilles viennent déposer leur miel ; là sont de grands métiers en marbre où les nymphes tissent une toile éclatante de pourpre, travaux admirables à voir; là aussi coule une onde pure et limpide. Cette grotte a deux portes : l'une est ouverte aux hommes, et elle regarde le Borée ; l'autre, tournée du côté de Notus, ne s'ouvre qu'aux dieux, et les mortels ne la franchissent jamais.

Les Phéaciens pénètrent dans ce port qu'ils connaissaient déjà. Le navire s'avance sur le rivage jusqu'à la moitié de sa carène, tant il est vigoureusement poussé par les bras des rameurs. Les nautonniers descendent à terre, transportent Ulysse loin du navire avec les couvertures de lin et les riches tapis ; ils déposent sur la plage le héros toujours enseveli dans un profond sommeil ; ils sortent ensuite les richesses que les Phéaciens, inspirés par Minerve, donnèrent à Ulysse et ils placent ces présents au pied de l'olivier mais en dehors du chemin, de peur que quelque voyageur venant à passer ne les enlève ; puis ils s'en retournent dans leur patrie[1]. — Nep-

  1. Aristote, au sujet de ce passage, fait une observation digne de remarque : « Dans l’Odyssée, dit-il, les absurdités racontées à l'endroit où les Phéa­ciens déposent Ulysse sur le rivage ne seraient pas tolérables, et sauteraient aux yeux, si c'eût été un poète médiocre qui les eût dites ; mais Homère les cache sous tant de beautés, qu'il répand des charmes sur ce qui est absurde. » M. et madame Dacier, dit Dugas-Montbel, sont transportés de cette explication, et sont tout prêts à soutenir qu'il est fort heureux qu'Homère ait dit des absurdités. Mais, quoi qu'en dise Aristote, Homère n'est point absurde ; car l'absurde perce en dépit de toutes les beautés. Homère n'exprime ici qu'une tradition, comme il fait toujours. On croyait alors en Grèce qu'Ulysse avait été déposé endormi sur le rivage, et les poètes le redisaient dans leurs chants. Celle aventure n'est pas plus absurde que mille autres de l’Iliade et de l’Odyssée, qui ne sont point ridicules parce qu'on y croyait. L'absurde serait de les avoir inventées. Quand on part de l'idée que les chants des anciens âges ne sont qu'un poème arrangé à loisir, on se jette dans de grands embarras ; tandis qu'en admettant des croyances générales, tout s'explique naturellement. Les croyances des peuples ont beau être absurdes, elles sont toujours poétiques.