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« Tu me forces à t'obéir parce que je suis le seul de mon avis. Eh bien, Achéens ! faites-moi d'abord un terrible serment. Jurez-moi tous que si vous rencontrez ces bœufs ou ces brebis vous n'aurez point l'imprudence d'égorger un seul de ces animaux, et que vous vous contenterez des provisions que nous avons reçues de l'immortelle Circé. »


» À ces mots ils jurent tous comme je le leur avais ordonné ; ils placent le vaisseau dans le vaste port, situé près d'une source d'eau pure ; puis ils sortent du navire et préparent le repas du soir. Quand ils ont apaisé la faim et la soif, ils versent des larmes en songeant aux malheureux compagnons qu'avait enlevés et dévorés la terrible Scylla ; ils pleuraient encore lorsque le doux sommeil vint les saisir. Les deux tiers de la nuit étaient passés et les astres s'inclinaient déjà vers le couchant, quand Jupiter, envoyant des vents impétueux accompagnés d'une horrible tempête, couvrit de nuages la mer et la terre : aussitôt la nuit se précipita du ciel. — Le lendemain, dès que brille la matinale Aurore aux doigts de rose, nous mettons à l'abri notre navire en le tirant dans une grotte profonde où sont les chœurs et les sièges des nymphes. Je convoque aussitôt l'assemblée et je parle en ces termes :

« Mes amis, il reste encore dans notre vaisseau des mets et du vin. Ainsi respectons ces troupeaux, de peur qu'il ne nous arrive quelques nouveaux malheurs ; car ce sont les génisses et les grasses brebis d'un dieu redoutable, du Soleil qui voit et entend tout. »

» Je leur parle ainsi, et leur âme se laisse aisément persuader. Pendant un mois entier, le Notus ne cesse de souffler ; et aucun vent ne s'élève, si ce n'est l'Eurus et le vent du sud. — Tant que mes compagnons eurent du pain et du vin, ils ne touchèrent point aux troupeaux du Soleil ; car ils ne demandaient que les aliments nécessaires à la vie. Mais lorsque toutes les provisions du navire vinrent à manquer, ils se mirent à errer par nécessité, cherchant quelque proie. Ils tâchaient de saisir des poissons avec leurs hameçons recourbés, de prendre des oiseaux, ou enfin tout ce qui leur tombait sous la main ; car la faim dévorait leurs entrailles. Moi je parcourais seul l'intérieur de l'île et j'implorais