Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/257

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plus noble des déesses s'éloigne en traversant son île, et moi je retourne au rivage. J'ordonne à mes compagnons de monter dans le navire et de délier les cordages ; ils obéissent aussitôt, se placent sur les bancs, et tous assis en ordre frappent de leurs rames la mer blanchissante. Circé, la puissante déesse à la voix mélodieuse[1] et aux cheveux ondoyants, nous envoie un vent favorable qui guide notre navire à la proue azurée et gonfle nos voiles. Lorsque nous avons disposé les agrès, nous nous asseyons tous et nous voguons au gré du pilote et des vents.

» Alors, quoique affligé, j'adresse ces paroles à mes compagnons :

« Ô mes amis, je vais vous faire connaître les prédictions de la divine Circé ; afin que vous sachiez tous si nous périrons, ou si nous échapperons à la mort qui nous menace. Circé nous défend d'écouter les harmonieux accents des Sirènes ; elle nous ordonne de fuir leurs prairies émaillées de fleurs, et elle ne permet qu'à moi d'entendre leurs chants. Mais aussi vous devez m'attacher avec des cordes et des chaînes au pied du mât élevé pour que j'y reste immobile. Si je vous implore et si je vous commande de me délier, alors entourez-moi de nouveaux liens.»


» Tandis que j'apprenais à mes compagnons tous ces détails, nous apercevons l'île des Sirènes ; car notre navire était poussé par un vent favorable. Mais tout à coup le vent s'apaise, le calme se répand dans les airs, et les flots sont assoupis par un dieu. Les rameurs se lèvent, plient les voiles, et les déposent dans le creux navire ; puis ils s'asseyent sur les bancs et font blanchir l'onde de leurs rames polies et brillantes. Aussitôt je tire mon glaive d'airain et je divise en morceaux une grande masse de cire que je presse fortement entre mes mains ; la cire s'amollit en cédant à mes efforts et à la brillante lumière du soleil, fils d'Hypérion, puis j'introduis cette cire dans les oreilles de tous mes guerriers. Ceux-ci m'attachent les pieds et les mains au mât avec de fortes cordes ; ils s'asseyent et frappent de leurs rames la mer blanchissante. Quand, dans sa course rapide, le vaisseau n'est plus

  1. Homère donne souvent aux déesses l'épithète d'αὐδήεις, parce que les divinités sont alors considérées par le poète comme se servant de la voix humaine.