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jour et elle la rejette, et trois fois encore elle l'avale en poussant des mugissements effroyables. Qu'il ne t'arrive donc point de passer en ces lieux lorsque Charybde absorbe les eaux de la mer ; car nul ne pourrait t'arracher à la mort, pas même le puissant Neptune. Rapproche-toi de Scylla et dirige ton navire en effleurant l'écueil. Il vaut mieux regretter six compagnons que de les voir périr tous ensemble. »


» J'adresse aussitôt à Circé ces paroles :

« Déesse, dis-moi toute la vérité. Si j'évite la funeste Charybde, pourrai-je combattre l'autre monstre quand il attaquera mes guerriers ? »


» La plus noble des déesses me répond en ces termes :

« Malheureux, tu songes donc encore aux fatigues et aux périls de la guerre ! Quoi ! tu ne veux point le céder aux dieux mêmes ! Sache donc alors que Scylla ne peut être privée de la vie : elle est immortelle. Scylla est un monstre terrible, sauvage, cruel, qu'on ne peut combattre ; il est impossible de se défendre contre elle, et le plus sûr est de fuir. Si tu restes auprès de Scylla pour lutter avec elle, je crains bien que, s'élançant de nouveau, elle n'engloutisse autant de guerriers qu'elle a de têtes. Navigue donc avec vitesse, en implorant la mère de Scylla, Cratais, qui donna le jour à ce fléau ; elle empêchera peut-être le monstre de s'élancer sur vous tous.


» Puis vous atteindrez l'île de Thrinacrie. Là paissent sept troupeaux de chacun cinquante génisses, et sept autres troupeaux de chacun cinquante brebis consacrés au dieu du jour. Ces animaux ne se reproduisent point, ils ne meurent jamais, et les déesses les gardent : ce sont deux nymphes à la belle chevelure, Phaétuse et Lampétie, que conçut du Soleil la divine Nééra. Lorsque leur vénérable mère les eut élevées, elle les envoya dans l'île de Thrinacrie, leur confia les brebis de leur père et ses bœufs aux cornes tortueuses. Si, songeant à ton retour, tu respectes ces troupeaux, tu pourras, après avoir bien souffert, revoir ta patrie ; mais, si, au contraire, tu attaques ces animaux, je te prédis la perte de ton navire et la mort de tous tes compagnons. Ulysse, si tu échappes au trépas, tu rentreras malheureux dans Ithaque, après avoir longtemps erré sur la mer et perdu tous tes guerriers. »

» Elle dit, et bientôt paraît la divine Aurore au trône d'or. La