Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/215

Cette page n’a pas encore été corrigée

l'animal, que je charge sur mes épaules et que je porte jusqu'au navire en m'appuyant sur mon javelot. Je n'aurais pu transporter ce cerf énorme sur mon épaule et en le tenant d'une seule main ; car c'était un animal d'une grandeur immense. Je le jette devant mon vaisseau

« Non, mes amis, nous ne descendrons point, malgré nos chagrins, dans les sombres demeures de Pluton avant que le fatal jour de la mort soit arrivé ! Hé bien ! puisqu'il nous reste encore des viandes et du vin, songeons à prendre quelque nourriture, et ne nous laissons point accabler par la faim. »

» Mes compagnons s'empressent d'obéir à cet ordre ; ils rejettent en arrière les manteaux dont ils s'étaient couverts, et regardent avec étonnement le cerf étendu sur la plage de la mer stérile. Quand ils ont pris plaisir à le contempler, ils baignent leurs mains et préparent le repas. Pendant tout le jour et jusqu'au coucher du soleil, nous goûtons ces chairs délicates et nous savourons un vin délectable. Lorsque l'astre du jour a terminé sa course et que les ténèbres ont enveloppé la terre, nous nous couchons sur les rives de l'Océan. Mais dès que la fille du matin, Aurore aux doigts de rose, a brillé dans les cieux, je réunis tous mes guerriers et je leur dis :

« Ô vous, compagnons d'infortune, écoutez-moi. Nous ne savons plus retrouver ni le couchant, ni le lever du jour ; nous ignorons même où le soleil, flambeau des humains, passe sous la terre, et jusqu'aux lieux où cet astre se lève. Voyons donc quel parti nous avons à prendre ; quant à moi, je pense qu'il n'en existe plus : car, en gravissant une montagne escarpée, j'ai vu l'île environnée par l'immense surface des eaux. La terre où nous sommes est basse, et du milieu s'élèvent des tourbillons de fumée à travers les arbres touffus de la forêt. »

» À ces mots leur âme est brisée par la douleur ; ils se rappellent les actions funestes du Lestrygon Antiphate et les cruautés du terrible Cyclope qui dévore les humains. Mes compagnons poussent des cris perçants et laissent couler de leurs yeux des torrents de larmes. Mais les pleurs ne donnent aucun secours aux malheureux affligés.