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gnons, nous qui venions d'échapper à la mort ! Mais ces guerriers, regrettant les victimes du Cyclope, poussent de longs gémissements. Moi, par mes regards, je ne leur permets pas de pleurer plus longtemps, et je leur ordonne de conduire ces superbes et nombreux troupeaux dans notre navire et de fendre ensuite l'onde amère. Mes compagnons s'embarquent, se placent sur les bancs, et, assis en ordre, ils frappent de leurs rames la mer blanchissante. Lorsque nous sommes loin de l'île, à une distance d'où ma voix peut encore se faire entendre, j'adresse au Cyclope ces paroles outrageantes :

« Ce ne sont point les compagnons d'un lâche que tu as dévorés en les égorgeant avec violence dans ta grotte profonde ! Homme cruel, tes horribles forfaits devaient être expiés, puisque tu n'as pas craint de manger tes propres hôtes dans ta demeure ! Jupiter et les autres dieux t'ont puni ! »



» À ces mots le Cyclope sent redoubler sa rage ; il arrache le sommet d'une montagne et le lance au-delà de mon navire à la proue azurée, (le rocher faillit effleurer l'extrémité de mon gouvernail). Alors la mer est bouleversée par la chute de cette énorme pierre ; les flots sont émus, ils refluent avec violence, repoussent mou vaisseau qui, soulevé par les ondes, est près de toucher au rivage. Aussitôt de mes deux mains je saisis un fort aviron, et j'éloigne mon navire de la plage ; puis j'encourage de nouveau mes compagnons, et je leur ordonne, par un signe de tête, de se courber sur les rames pour éviter un malheur ; ceux-ci obéissent et rament avec effort. Quand nous sommes en mer, deux fois plus loin qu'auparavant, je veux encore parler au Cyclope, mais les guerriers qui m'accompagnent veulent me faire abandonner ce projet :

« Téméraire, me disent-ils, pourquoi vouloir toujours irriter ce monstre cruel ? C'est lui qui, lançant un rocher dans la mer, a jeté notre vaisseau sur ce rivage où nous avons pensé mourir. S'il entend encore ta voix et tes menaces, il va tout à la fois écraser nos têtes et briser les poutres du navire sous le poids d'une énorme pierre qu'il nous lancera violemment ! »

Ainsi parlent mes compagnons, mais ils ne parviennent point à me fléchir. Alors plein de colère, je m'écrie :