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épouse ma fille et reste en ces lieux ! — Étranger, je te donnerais un palais et de grandes richesses si seulement tu consentais à habiter cette demeure. Mais aucun Phéacien ne te retiendra malgré ton désir : une semblable pensée serait odieuse. Demain j'ordonnerai tout pour ton départ ; jusqu'à ce moment goûte en paix les douceurs du sommeil[1]. Quelle que soit la terre où tu désires arriver, demain les Phéaciens sillonneront la mer tranquille pour te conduire dans ta patrie, fût-elle même au delà de l'Eubée[2]. Ce pays est bien loin de nous, disent les Phéaciens qui l'ont visité lorsqu'ils se rendirent avec le blond Rhadamanthe[3] ; auprès de Tityus, fils de la Terre ; les compagnons de Rhadamanthe firent sans fatigue ce trajet en un jour ; puis ils revinrent dans leurs demeures. Étranger, tu jugeras toi-même de l'excellence de nos vaisseaux et de l'adresse de nos jeunes nautoniers habiles à frapper la mer avec la rame. »

À ces mots le divin Ulysse, transporté de joie, s'écrie en implorant les dieux :

  1. Pour le sens de ce passage obscur, nous avons suivi les traductions de Pope et de Dugas-Montbel.
  2. L'Eubée (Εὔβοια ἡ) était une île de la mer Égée, séparée de la Béotie par l'Euripe ; l'Eubée s'appelle aujourd'hui Négrepont. Les auteurs du Dictionnaire des Homérides nous apprennent que les habitants de l'Eubée sont appelés Abantes par Homère, et que selon les mythographes cette île tenait son nom d'Eubée, fille d'Asopus, ou plus exactement de ses excellents pâturages pour les bœufs.
  3. Un traducteur dit, au sujet de Rhadamanthe, fils de Jupiter et d'Europe : « Il habitait les Champs-Elysées en Espagne, sur les bords de l'Océan. Alcinoüs, observe-t-on, veut faire entendre que son île est près de cet heureux séjour ; et, pour le persuader, il dit que Rhadamanthe se servit des vaisseaux phéaciens, à cause de leur grande légèreté. Il semble que ce trait, ainsi que plusieurs autres, devrait faire marquer une autre place à l'île des Phéaciens. Rhadamanthe était un prince très juste, et Tityus un cruel tyran. Rhadamanthe l'alla voir, dit-on, pour le ramener à la raison. On voit qu'Homère, pour marquer la vitesse des vaisseaux phéaciens, épuise tout ce que la poésie a de plus hyperbolique. D'après la place qu'on assigne à la Phéacie, il était impossible que ce voyage se fît en un jour. Alcinoüs, comme bien d'autres personnages introduits par Homère, aimait à se vanter ; on le voit en plusieurs occasions semblables ; c'est ce qui peut disculper ici Homère de l'im­putation d'une erreur géographique où il semble être tombé. (Bitaubé, Remarques sur le chant VII de l'Odyssée).