Page:L’Odyssée (traduction Bareste).djvu/132

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Il dit. Aussitôt le dieu arrête son courant et apaise les vagues; puis il répand le calme autour du héros et sauve le malheureux Ulysse en le recevant à l'embouchure du fleuve. Le fils de Laërte sent tout à coup fléchir ses genoux et ses bras vigoureux : les eaux de la mer avaient épuisé ses forces. Le corps d'Ulysse est enflé de toutes parts ; l'onde amère jaillit abondamment de sa bouche et de ses narines, et bientôt l'infortuné tombe sans respiration et sans voix, tant il est accablé de fatigues. Mais, dès qu'il commence à respirer, il détache le voile de la déesse et le jette dans le fleuve qui apporte à la mer son onde limpide[1] ; les flots l'entraînent, et la belle Ino le reçoit entre ses mains. Ulysse, après être sorti du fleuve, se couche sur les roseaux et baise avec transport la terre féconde. Alors en soupirant il s'écrie :

« Hélas ! qu'ai-je encore à souffrir, et que va-t-il m'arriver ? Si je passe la nuit à pleurer sur les bords de ce fleuve, je crains que le froid pernicieux du matin et la tendre rosée n'éteignent mes forces déjà bien affaiblies par la souffrance : un air glacial s'élève toujours du sein des fleuves au lever de l'aurore. Si je me dirige vers les collines ombragées d'arbres pour dormir sous d'épais taillis ( quand même je n'éprouverais aucun froid ni aucune fatigue, et que le doux sommeil s'emparerait de moi), je crains d'être la proie et la pâture des bêtes sauvages.»

Ce dernier parti lui semble cependant préférable, et aussitôt il s'achemine vers un bois situé sur une éminence, près du fleuve. Là il se blottit sous deux arbustes qui croissaient ensemble : l'un était un olivier franc, l'autre un olivier sauvage ; jamais le souffle des vents impétueux et humides n'arriva sous cet ombrage ; jamais le brillant soleil ne le frappa de ses rayons, et jamais

  1. Nous avons traduit ποταμὸν ἁλιμυρήεντα (vers 460) par : fleuve qui apporte des eaux à la mer, parce que le mot ἁλιμυρήεις (qui se jette à la mer) vient de άλς (onde salée), et de μύρω (couler). En nous conformant à l'étymologie du mot ἁλιμυρήεις, nous avons évité les contre-sens commis par Clarke, qui écrit fluvium salsuginosum ; par Dugas-Montbel, qui dit : le fleuve à l'onde salée ; et par Voss, qui traduit ce passage par : salzige welle des flusses (l'onde salée du fleuve). — Dubner a parfaitement compris le sens de cette phrase en traduisant ποταμὸν ἁλιμυρήεντα par fluvium mari se miscentem.