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s’imagine être cet heureux mortel ; chacun pense avoir cueilli la palme. Comment est-il possible que tout le monde ait cette chance, puisqu’elle ne peut être que le lot d’un seul ?

« Je suis tombé moi-même autrefois dans l’erreur où vous êtes, à savoir qu’il existe plus d’une épouse chaste. Mais un gentilhomme de Venise, que ma bonne fortune conduisit ici, me tira d’erreur en me citant de nombreux exemples. Il s’appelait Jean-François Valerio, et son nom n’est jamais sorti de ma mémoire.

« Il connaissait toutes les ruses dont les femmes légitimes et les maîtresses usent d’habitude. Outre sa propre expérience, il savait là-dessus une foule d’histoires modernes et anciennes, par lesquelles il me démontra bien vite que, pauvres ou riches, il n’y en eut jamais de pudiques, ajoutant que si quelques-unes avaient passé pour plus chastes que les autres, c’est qu’elles avaient été plus habiles à se cacher.

« Parmi toutes les histoires qu’il me conta — et il m’en dit tant que je ne pourrais m’en rappeler le tiers — il en est une qui s’est gravée dans ma tête plus profondément qu’une inscription sur le marbre. Quiconque l’entendrait serait convaincu, comme je le fus et comme je le suis encore, de la scélératesse des femmes. Si cela ne vous déplatt point de l’écouter, seigneur, je vais vous la dire pour les confondre. »

Le Sarrasin répondit : « Quel plus grand plaisir, quel plus grand soulagement pourrais-tu