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Rodomont s’apprête à soutenir le choc. Il accourt au galop. Le son que rend le pont sous les pas de son cheval est si grand, qu’il étourdit les oreilles à ceux qui l’entendent même de loin. La lance d’or fait son effet accoutumé. Le païen, jusque-là si solide dans ces sortes de joutes, est enlevé de selle et jeté en l’air, d’où il retombe sur le pont la tête la première.

La guerrière trouve à peine la place pour faire passer son destrier. Elle court les plus grands dangers, et il s’en faut de peu qu’elle ne tombe dans la rivière. Mais Rabican, ce fils du vent et du feu, est si adroit et si agile, qu’il franchit le pont en passant sur le bord extrême ; il aurait marché sur le tranchant d’une épée.

Bradamante se retourne, et revient vers le païen abattu. Puis elle lui dit d’un air moqueur : « Tu peux voir maintenant qui a perdu, et à qui de nous deux il convient d’avoir le dessous. » Le païen reste muet d’étonnement. Il ne peut croire qu’une femme l’ait désarçonné. Il ne peut ni ne veut répondre ; il est comme un homme plein de stupeur et de folie.

Il se releva silencieux et triste ; quand il eut fait quatre ou cinq pas, il ôta son écu et son casque, ainsi que le reste de ses armes, et les jeta contre les rochers. Puis il se hâta de s’éloigner seul et à pied, après avoir donné ordre à un de ses écuyers d’aller faire mettre les prisonniers en liberté, ainsi qu’il avait été convenu.

Il partit, et l’on n’entendit plus parler de lui, si