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vant, elles arrivèrent au fleuve et au passage plein de danger. À peine le veilleur les a-t-il aperçues, qu’il prévient son maître par le son du cor. Le païen s’arme, et, selon son habitude, il se place à l’entrée du pont, sur la rive du fleuve.

Et dès que la guerrière se montre, il la menace de la mettre sur-le-champ à mort, si elle ne fait point don au grand mausolée de ses armes et du destrier sur lequel elle est montée. Bradamante qui connaît son histoire dans toute sa vérité, et qui sait comment Isabelle a été tuée par lui — Fleur-de-Lys lui avait tout dit — répond à l’orgueilleux Sarrasin :

« Pourquoi veux-tu, bestial, que les innocents fassent pénitence de ton crime ? Cette victime ne peut être apaisée que par ton sang. C’est toi qui l’as tuée,et le monde entier le sait. Toutes les armes et tous les harnachements des nombreux chevaliers que tu as désarçonnés, lui sont une offrande moins agréable que ne le sera ton trépas, s’il arrive que je te tue pour la venger.

« Cette vengeance lui sera d’autant plus agréable, venant de ma main, que je suis comme elle une femme moi aussi. Je ne suis pas venue ici pour autre chose que pour la venger ; et c’estlà mon seul désir. Mais il convient de faire une convention entre nous, avant de voir si ta vaillance peut se comparer à la mienne. Si je suis vaincue, tu feras de moi ce que tu as fait de tes autres prisonniers.

« Mais si je t’abats, comme je le crois et comme je l’espère, je veux prendre ton cheval et tes ar-