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« Mais, pour parler de moi plus que des autres, et te raconter l’erreur qui m’a précipitée ici, je te dirai que je fus, pendant ma vie, si belle, mais si altière, que je ne sais si jamais aucune autre m’égala en fierté. Je ne saurais bien te dire laquelle des deux choses l’emportait en moi, l’orgueil ou la beauté, quoique la superbe et l’arrogance naissent de la beauté qui plaît à tous les yeux.

« Il y avait à cette époque dans la Thrace un chevalier qui passait pour le plus accompli dans le métier des armes. Il entendit faire par plusieurs personnes l’éloge de ma singulière beauté. Spontanément, il résolut de me consacrer tout son amour, espérant mériter par sa vaillance que mon cœur s’éprît de lui.

« Il vint en Lydie, et dès qu’il m’eut vue, il fut enlacé dans des liens encore plus forts. Il ne tarda point à croître en renommée parmi les autres chevaliers qui composaient la cour de mon père. Il serait trop long de te raconter les preuves de’tout genre qu’il donna de sa grande vaillance, et les services innombrables qu’il rendit à mon père en fidèle serviteur.

« Grâce à son aide, mon père soumit la Pamphilie, la Carie, et le royaume de Cilicie ; mon père ne conduisait son armée à l’ennemi que d’après les conseils du chevalier, et quand celui-ci le jugeait opportun. Lorsque le chevalier crut ses services suffisants pour mériter une telle récompense, il se hasarda à demander un jour au roi, pour prix des