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n’entends-je plus, ne vois-je plus ce qu’endormie, ma pensée semblait entendre et voir ? pourquoi mes yeux, quand ils sont clos, voient-ils le bien, et voient-ils le mal quand ils sont ouverts ?

« Le doux sommeil m’a fait espérer la paix ; mais la veille amère me replonge dans la guerre. Le doux sommeil a été menteur, mais, hélas ! la veille amère ne me trompe point. Si le vrai me pèse et si le faux me plaît, que jamais plus je n’entende ou ne voie la vérité sur la terre. Si le sommeil me donne la joie, si la veille m’apporte la souffrance, puissé-je dormir sans me réveiller jamais !

« Heureux les animaux à qui un lourd sommeil tient, pendant six mois, les yeux fermés ! Je ne veux pas dire qu’un semblable sommeil ressemble à la mort, et qu’une semblable veille ressemble à la vie, car, contrairement aux autres êtres, je me sens mourir quand je veille, et je me sens vivre quand je dors. Mais si un sommeil de cette nature ressemble à la mort, viens sur l’heure, ô Mort, me clore les yeux ! »

Le soleil rougissait les bords extrêmes de l’horizon ; les nuages s’étaient dissipés, et le jour qui commençait paraissait devoir être le contraire du jour précédent. Bradamante, s’étant éveillée, revêtit ses armes et se remit en chemin, après avoir remercié le châtelain de la bonne hospitalité et de l’honneur qu’elle en avait reçus.

Elle retrouva la messagère qui était sortie de la Roche, avec ses deux damoiselles et ses écuyers,