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tacher leurs yeux. À plusieurs reprises, ils lisent ce qui est écrit sous ces belles œuvres.

Les belles dames et les autres assistants, après avoir longtemps regardé et raisonné entre eux, furent conduits dans les appartements où ils devaient prendre du repos, par le châtelain lui-même, désireux de faire honneur à ses hôtes. Voyant tous ses compagnons déjà endormis, Bradamante va se coucher la dernière. Mais elle a beau se retourner sur l’un et l’autre flanc, elle ne peut dormir.

Cependant, à l’approche de l’aube, elle ferme un instant les yeux, et il lui semble voir son Roger, qui lui dit : « Pourquoi te consumes-tu de chagrin, et donnes-tu créance à ce qui n’est pas la vérité ? Tu verras plutôt les fleuves remonter à leur source, que de me voir porter ma pensée à d’autres qu’à toi. Si je ne t’aimais pas, je ne pourrais aimer mon propre cœur ni les pupilles de mes yeux. »

Et il lui semble qu’il ajoute : « Je suis venu ici pour me faire baptiser et faire tout ce que je t’ai promis. Et si je suis en retard, c’est une autre blessure que celle de l’amour qui m’a retenu. » En ce moment le sommeil la fuit, et elle ne voit plus que Roger qui disparaît avec son rêve. La damoiselle recommence alors à pleurer et se parle ainsi à elle-même :

« C’est un vain songe qui est venu me procurer ce plaisir, et c’est, hélas ! la réalité qui me torture pendant que je veille. Le songe a été prompt à s’enfuir, mais ce n’est point un songe que mon âpre et cruel martyre. Pourquoi, éveillée,