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cavaliers, qui étaient restés fermes en selle, allèrent voir au fond de la rivière si quelque belle nymphe n’y était pas cachée. Ce n’est pas le premier, ni le second saut que le païen fait avec son audacieux destrier, du haut du pont dans l’eau. Il connaît fort bien, par conséquent, le fond du fleuve.

Il sait les endroits où le fond est ferme et où il est vaseux, où l’eau est basse et où elle est profonde. Il a bientôt la tête, la poitrine et la ceinture hors de l’eau et peut attaquer Brandimart avec un grand avantage. Brandimart était tombé au beau milieu du courant ; son destrier, enfoncé dans le sable qui formait le fond, ne pouvait plus s’en retirer, el tous deux risquaient de se noyer.

L’eau, soulevée par la chute, les eut bientôt culbutés et les entraîna à l’endroit le plus profond. Brandimart était dessous et le destrier dessus. Fleur-de-Lys, restée sur le pont, presque morte d’épouvante, pleure et adresse au vainqueur ses vœux et ses supplications : « Ah ! Rodomont, par celle que tu révères dans sa tombe, ne sois pas si cruel que de laisser noyer un tel chevalier !

« Ah ! seigneur plein de courtoisie, si tu as jamais aimé, aie pitié de moi, car je l’aime. Qu’il te suffise, au nom de Dieu, de le faire prisonnier et d’orner ton monument de cette nouvelle dépouille. Parmi toutes celles que tu as gagnées, celle-ci sera la plus belle et la plus glorieuse. » Elle sut si bien dire, qu’elle émut le roi païen, quelque cruel qu’il fût.