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me poussa à faire tout cela ; car, ainsi que le ciel me l’a montré, il doit mourir par trahison, peu de temps après s’être fait chrétien.

« Le soleil ne voit pas entre ce pôle et le pôle austral un jeune homme si beau et de telle prestance. Il a nom Roger, et dès son jeune âge il fut élevé par moi, car je suis Atlante. Le désir d’acquérir de l’honneur et sa cruelle destinée l’ont amené en France à la suite du roi Agramant ; et moi qui l’aimai toujours plus qu’un fils, je cherche à le tirer de France et du péril.

« J’ai édifié ce beau château dans le seul but d’y tenir Roger en sûreté, car il fut pris par moi comme j’ai espéré te prendre toi-même aujourd’hui. J’y ai enfermé des dames et des chevaliers et d’autres nobles gens que tu verras, afin que, puisqu’il ne peut sortir à sa volonté, ayant compagnie, il ne s’ennuie pas.

« Pour que ceux qui sont là-haut ne demandent pas à en sortir, j’ai soin de leur procurer toutes sortes de plaisirs ; autant qu’il peut en exister dans le monde, sont réunis dans ce château : concerts, chant, parures, jeux, bonne table, tout ce que le cœur peut désirer, tout ce que la bouche peut demander. J’avais bien semé et je cueillais un bon fruit ; mais tu es venu détruire tout mon ouvrage.

« Ah ! si tu n’as pas le cœur moins beau que le visage, ne m’empêche pas d’accomplir mon honnête dessein. Prends l’écu, je te le donne, ainsi que ce destrier qui va si prestement par les airs. Ne te préoccupe pas davantage du château, ou bien fais-