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longuement mes sens, moi aussi, et après un grand espace de temps, je revins enfin à moi. Je ne vis plus ni les guerriers, ni le nain, mais le champ de bataille vide, et le mont et la plaine plongés dans l’obscurité.

« Je pensai alors que l’enchanteur les avait tous les deux surpris par la puissance de son fulgurant écu, et leur avait enlevé la liberté et à moi l’espérance. Aussi, à ce lieu qui renfermait mon cœur, je dis en partant un suprême adieu. Maintenant, jugez si les autres peines amères dont Amour est cause peuvent se comparer à la mienne. »

Le chevalier retomba dans sa première douleur, dès qu’il en eut raconté la cause. C’était le comte Pinabel, fils d’Anselme d’Hauterive, de Mayence. Parmi sa scélérate famille, il ne voulut pas être seul loyal ni courtois ; au contraire, en vices abominables et grossiers non seulement il égala, mais il passa tous les siens.

La belle dame avec diverses marques d’attention écouta le Mayençais. Lorsqu’il fut pour la première fois parlé de Roger, elle se montra sur son visage plus que jamais joyeuse. Mais, quand ensuite elle apprit qu’il était prisonnier, elle fut toute troublée d’amoureuse pitié. Elle ne put même se retenir de lui faire répéter une ou deux fois ses explications.

Et lorsqu’à la fin elles lui parurent assez claires, elle dit : « Chevalier, tranquillise-toi, car ma venue peut-être pourra t’être chère, et ce jour te paraître heureux. Mais allons vite vers cette