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déjà l’avaient pris dans leurs rets. Cependant l’énorme cétacé s’en vient, pesant sur la mer de son ventre puissant. Roger se tient à son poste et lève le voile, et il semble qu’un second soleil surgisse dans le ciel.

La lumière enchantée frappe les yeux de la bête et produit son effet accoutumé. Comme la truite ou la carpe flottent à la surface de la rivière que le montagnard a troublée avec de la chaux, ainsi l’on peut voir, sur l’écume marine, le monstre horrible couché à la renverse. Deçà, delà, Roger le frappe, mais il ne trouve pas d’endroit où il puisse le blesser.

Pendant ce temps, la belle dame le supplie de ne pas s’acharner en vain sur la dure écaille : « Reviens, pour Dieu, seigneur — disait-elle en pleurant — délie-moi avant que l’orque ne se relève. Emporte-moi avec toi, et noie-moi au milieu de la mer. Ne permets pas que je sois engloutie dans le ventre de ce poisson féroce. » Roger, ému à ces justes plaintes, délie la dame et l’enlève du rivage.

Le destrier, excité par l’éperon, presse du pied le sable, s’élance dans les airs et galope à travers les cieux. Il porte le cavalier sur son dos et la donzelle derrière lui sur sa croupe. Ainsi la bête fut privée d’un mets trop fin et trop délicat pour elle. Roger s’en va, tout en se retournant, et il imprime mille baisers sur le sein et sur les yeux brillants d’Angélique.

Il ne suivit plus la route qu’il s’était proposée