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et pleine d’envie, qui a lié l’ivoire poli de ces belles mains ? » À ces paroles, force est à Angélique de devenir comme un blanc ivoire sur lequel on aurait répandu du vermillon ; elle rougit de voir nues ces parties que, quelque belles qu’elles soient, la pudeur doit faire celer.

Elle se serait caché le visage dans ses mains, si elles n’avaient pas été liées au dur rocher. Mais elle le couvrit de larmes — car on n’avait pu lui enlever le pouvoir de pleurer — et elle s’efforça de le tenir baissé. Puis, après de nombreux sanglots, elle commença à prononcer quelques paroles entrecoupées, sur un ton plaintif et las. Mais elle ne poursuivit pas, car une grande rumeur qui se fit entendre sur la mer l’interrompit soudain.

Voici apparaître le monstre démesuré, moitié caché sous les ondes, moitié hors de l’eau. Comme le navire, poussé par Borée ou le vent d’autan, a coutume de venir de loin pour regagner le port, ainsi la bête horrible accourt à la proie qui lui est montrée. La dame est à demi morte de peur, et la présence d’autrui ne la rassure pas.

Roger n’avait pas la lance en arrêt, mais il la tenait en main. Il en frappa l’orque. Je ne saurais dire à quoi ressemblait celle-ci, si ce n’est à une grande masse qui tourne et se tord. Elle n’avait pas la forme d’un animal, excepté par la tête dont les yeux et les dents sortaient comme si elle eût été celle d’un porc. Roger la frappe trois fois au front, entre les yeux, mais il semble qu’il touche du fer ou un dur rocher.