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belles dames, pour les donner en pâture à un monstre.

Elle y avait été liée le matin même, et attendait, pour en être dévorée toute vive, la venue de ce monstre énorme, l’orque marine qui se nourrissait d’une abominable nourriture. J’ai dit plus haut comment elle fut enlevée par ceux qui la trouvèrent endormie sur le rivage, près du vieil enchanteur qui l’avait attirée là par enchantement.

Ces gens féroces, impitoyables, avaient exposé sur le rivage, à la merci de la bête cruelle, la belle dame aussi nue que la nature l’avait formée. Elle n’avait pas même un voile pour recouvrir les lis blancs et les roses vermeilles répandus sur ses beaux membres, et que la chaleur de juillet ou le froid de décembre n’aurait pu faire tomber.

Roger l’aurait prise pour une statue d’albâtre ou de tout autre marbre précieux, sculptée sur l’écueil par des statuaires habiles, s’il n’avait vu les larmes, répandues à travers les fraîches roses et les lis blancs, mouiller ses joues, et l’air soulever sa chevelure d’or.

Dès qu’il eut fixé ces beaux yeux, il se souvint de sa Bradamante. La pitié et l’amour l’émurent en même temps, et il eut peine à se retenir de pleurer. Après avoir modéré le mouvement d’ailes de son destrier, il dit doucement à la donzelle : « Ô dame, qui ne devrais porter que la chaîne avec laquelle Amour mène ses serviteurs,

« Et qui ne mérites ni un pareil traitement, ni aucune peine, quel est le cruel, à l’âme perverse