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beau dans le ventre des loups qui habitent, hélas ! dans ces forêts.

« Je le crains, et déjà je crois voir sortir de ces bois les ours, les lions, les tigres ou d’autres bêtes semblables que la nature a armées de dents aiguës et d’ongles pour déchirer. Mais ces bêtes cruelles pourraient-elles me donner une mort pire que celle que tu m’infliges ? Je sais qu’elles se contenteront de me faire subir une seule mort, et toi, cruel, tu me fais, hélas ! mourir mille fois !

« Mais je suppose encore qu’il vienne maintenant un nocher qui, par pitié, m’emmène d’ici, m’arrache aux loups, aux ours et aux lions, et me sauve de la misère et d’une mort horrible ; il me portera peut-être en Hollande ; mais ses forteresses et ses ports ne sont-ils pas gardés pour toi ? Il me conduira sur la terre où je suis née, mais tu me l’as déjà enlevée par la fraude !

« Tu m’as ravi mes États, sous prétexte de parenté et d’amitié. Tu as été bien prompt à y installer tes gens pour t’en assurer la possession ! Retournerai-je en Flandre, où j’ai vendu ce qui me restait pour vivre, bien que ce fût peu, afin de te secourir et de te tirer de prison ? Malheureuse ! où irai-je ? Je ne sais.

« Irai-je en Frise où je pouvais être reine, ce que j’ai refusé pour toi, et ce qui a causé la mort de mon père et de mes frères, ainsi que la perte de tous mes biens ? Ce que j’ai fait pour toi, je ne voudrais pas te le reprocher, ingrat, ni t’infliger un châtiment ; mais tu ne l’ignores pas plus que