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ne me livre à lui prisonnière. Ainsi sa seule voie de salut est ma mort.

« Tout ce qu’on peut faire pour le sauver, hors me perdre moi-même, je l’ai fait. J’avais six châteaux en Flandre ; je les ai vendus ; et le prix, petit ou grand, que j’en ai retiré, je l’ai employé partie à tenter, par l’intermédiaire de personnes adroites, de corrompre ses gardiens, partie à soulever contre ce barbare, tantôt les Anglais, tantôt les Allemands.

« Mes émissaires, soit qu’ils n’aient rien pu, soit qu’ils n’aient pas rempli leur devoir, m’ont fait de belles promesses et ne m’ont point aidée. Ils me méprisent, maintenant qu’ils m’ont soutiré de l’or. Et le terme fatal approche, après lequel ni force ni trésor ne pourront arriver à temps pour arracher mon cher époux à une mort terrible.

« Mon père et mes frères sont morts à cause de lui ; c’est à cause de lui que mon royaume m’a été enlevé ; pour lui, pour le tirer de prison, j’ai sacrifié les quelques biens qui me restaient, et qui étaient ma seule ressource pour vivre. Il ne me reste plus maintenant qu’à aller me livrer moi-même aux mains d’un si cruel ennemi, afin de le délivrer.

« Si donc il ne me reste plus autre chose à faire, et si je n’ai plus d’autre moyen pour le sauver que d’aller offrir ma vie pour lui, offrir ma vie pour lui me sera cher encore. Mais une seule crainte m’arrête : sais-je si je pourrai conclure avec le tyran un pacte assez solide pour qu’une fois qu’il m’aura en son pouvoir, il ne me trompe pas ?