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qui va me détourner un peu de mon droit chemin. Dans la mer du Nord, du côté de l’Occident et par delà l’Islande, s’étend une île nommée Ébude, dont la population a considérablement diminué, depuis qu’elle est détruite par une orque sauvage et d’autres monstres marins que Protée y a conduits pour se venger.

Les anciennes chroniques, vraies ou fausses, racontent que jadis un roi puissant régna sur cette île. Il eut une fille dont la grâce et la beauté, dès qu’elle se montra sur le rivage, enflammèrent Protée jusqu’au milieu des ondes. Celui-ci, un jour qu’il la trouva seule, lui fit violence et la laissa enceinte de lui.

Cet événement causa au père beaucoup de douleur et de souci, car il était plus que tout autre impitoyable et sévère. Ni les excuses, ni la pitié ne purent lui faire pardonner, tant son courroux était grand. La grossesse de sa fille ne l’arrêta même pas dans l’accomplissement de son cruel dessein, et, dès qu’il fut né, il fit, avant elle, mourir son petit-fils, qui cependant n’avait point péché.

Le dieu marin Protée, pasteur des monstrueux troupeaux de Neptune roi des ondes, ressentit un grand chagrin de la mort de sa dame, et, dans sa grande colère, il rompit l’ordre et les lois de la nature. Il s’empressa d’envoyer sur l’île les orques et les phoques, et tout son troupeau marin, qui détruisirent non seulement les brebis et les bœufs, mais les villes et les bourgs avec leurs habitants.

Ils vinrent également assiéger la capitale qui