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cher son destrier tout près de la vague, là où l’humidité rendait la voie plus ferme. Celui-ci fut soudain entraîné dans les flots par le démon féroce, au point d’être obligé de nager. La timide donzelle ne sait que faire, si ce n’est se tenir ferme sur la selle.

Elle a beau tirer la bride, elle ne peut le faire tourner, et de plus en plus il s’avance vers la haute mer. Elle tenait sa robe relevée pour ne pas la mouiller, et levait les pieds. Sur ses épaules, sa chevelure flottait toute défaite, caressée par la brise lascive. Les grands vents se taisaient, ainsi que la mer, comme pour contempler sans doute tant de beauté.

Elle tournait en vain vers la terre ses beaux yeux qui baignaient de pleurs son visage et sa poitrine. Et elle voyait le rivage s’enfuir toujours plus loin, décroître peu à peu et disparaître. Le destrier qui nageait-sur la droite, après un grand détour, la porta sur un écueil parsemé de roches noires et de grottes effroyables. Et déjà la nuit commençait à obscurcir le ciel.

Quand elle se vit seule dans ce lieu désert, dont la seule vue lui faisait peur, à l’heure où Phébus couché dans la mer laissait l’air et la terre dans une obscurité profonde, elle resta immobile, dans une attitude qui aurait fait douter quiconque aurait vu sa figure, si elle était une femme véritable et douée de vie, ou bien un rocher ayant cette forme.

Stupide et les yeux fixés sur le sable mouvant, les cheveux dénoués et en désordre, les mains