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pris et tués, paître l’herbe et ruminer en repos. Les daims et les chèvres, agiles et pleins d’adresse, bondissaient en foule sous ces bosquets champêtres.

Dès que l’hippogriffe est assez près de terre pour que l’on puisse sauter sans trop de danger, Roger s’enlève rapidement de l’arçon et se retrouve sur le gazon émaillé. Il serre toutefois les rênes dans sa main, car il ne veut pas que le destrier s’envole de nouveau. Il l’attache sur le rivage à un myrte verdoyant, entre un laurier et un pin.

Puis, dans un endroit où jaillissait une fontaine couronnée de cèdres et de palmiers touffus, il pose son écu, ôte son casque du front, et se désarme les deux mains. Et, tourné tantôt vers la mer, tantôt vers la montagne, il livre son visage aux brises fraîches et suaves qui, avec de doux murmures, font trembler les hautes cimes des hêtres et des sapins.

Il baigne dans l’onde claire et fraîche ses lèvres desséchées ; il l’agite avec les mains, pour apaiser la chaleur qu’a allumée dans ses veines le poids de sa cuirasse. Et il ne faut point s’étonner que cette chaleur soit devenue si grande, car il a été loin de se tenir en une même place ; au contraire, sans jamais se reposer et couvert de ses armes, il est allé toujours courant pendant trois mille milles.

Pendant qu’il se repose en cet endroit, le destrier qu’il avait laissé au plus épais du feuillage sous l’ombre fraîche, se cabre tout à coup, comme s’il voulait fuir, épouvanté qu’il est par je ne sais quoi