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INTRODUCTION

L’indépendance du Népal est ainsi liée en partie aux combinaisons de la politique européenne ; elle dépend en partie de la sagesse de ses gouvernants. La famille des Sham Sher, qui détient le pouvoir effectif, est restée fidèle aux traditions de Jang Bahadur et de Bhim Sen Thapa ; elle a su préserver l’intégrité du pays par une attitude de réserve prudente, écarter l’étranger sans le repousser brutalement, isoler le royaume sans s’isoler elle-même. Le mahârâja actuel, comme ses aînés, lit et parle l’anglais, reçoit les journaux apportés de la frontière anglaise par un coureur de poste, descend à l’occasion dans l’Inde, rend visite au vice-roi ; il s’intéresse aux affaires d’Europe, cause sans embarras de l’empereur Guillaume et de la revanche. Pénétré de ses devoirs de chef et de Gourkha, il passe ses journées sur le champ de manœuvres à dresser les troupes, rend la justice, contrôle l’administration. Mais une tragédie de palais, comme le Népal en a tant vu, peut brusquement porter au pouvoir le parti de l’isolement à outrance, hostile aux gens comme aux idées du dehors, entêté d’orgueil intraitable et de mépris insultant. À l’extérieur une guerre, à l’intérieur une révolution, et c’en est fait peut-être du dernier État indépendant de l’Inde.

Amené au Népal en 1898 par la recherche des antiquités et des manuscrits bouddhiques, j’ai senti sur place l’intérêt imprévu du drame qui s’y joue. Familier par mes études avec le passé de l’Inde, j’ai cru le voir ressusciter dans ce duel de races, de langues, de religions qu’abrite une vallée perdue de l’Himalaya. Avant l’heure incertaine du dénouement probable, j’ai cru opportun de tracer dans un tableau d’ensemble les singulières destinées de ce coin de terre où semblent se répéter en réduction les destinées générales de l’Inde. L’histoire du Népal ainsi conçue m’apparaît moins comme une monographie locale que