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LE NÉPAL


séjour de soixante ans, les Capucins emportent pour se consoler la satisfaction d’avoir détruit des milliers d’anciens manuscrits.

Le départ des Capucins est le contre-coup d’une révolution qui couronne et parachève en un moment l’œuvre lente et sinueuse des siècles. Les royaumes Mallas ont succombé tous les trois à la fois, épuisés par leurs querelles et leurs guerres incessantes, minés par les discordes intestines, par l’indiscipline d’une aristocratie jalouse de ses droits et de ses libertés, par les sourdes menées des brahmanes. Les Gourkhas sont les maîtres du Népal. Venus d’une petite bourgade juchée dans les montagnes de l’Ouest, et qui leur a donné son nom, ils se prétendent originaires de l’Inde propre, descendants légitimes des anciens Kṣatriyas, égaux des plus authentiques Rajpoutes. Pourtant leurs traditions n’arrivent pas à dissimuler leur véritable origine, inscrite aussi sur les traits de leur visage. Ces représentants orgueilleux du brahmanisme intégral sont nés d’un croisement réprouvé : les uns sont issus d’aventuriers brahmaniques, les autres d’aventuriers Rajpoutes que la conquête musulmane a rejetés hors de l’Inde et qui sont venus chercher fortune dans les montagnes. Les réfugiés ont contracté avec les filles indigènes des unions irrégulières ; les enfants qui en sont sortis ont réclamé et obtenu dans la société un rang digne du sang paternel, mais que l’Inde plus scrupuleuse refuse de sanctionner. Servis par les dissensions de leurs adversaires, les Gourkhas n’en ont triomphé cependant qu’après de longs combats ; l’honneur du succès revient à leur chef, Prithi Narayan, politique cauteleux, soldat vaillant, tacticien perspicace, prudent à former ses plans, opiniâtre à les conduire, froidement barbare ou généreux par calcul. La prise de Kirtipour caractérise sa méthode : assise sur son rocher à pic, défendue avec bravoure, la ville repousse les