Page:Léon XIII - Encyclique Rerum Novarum, Sur la condition des ouvriers - 1920.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 13 —

son esprit et les forces de son corps pour se procurer ces biens de la nature ? Il s’applique pour ainsi dire à lui-même la portion de la nature corporelle qu’il cultive, et y laisse comme une certaine empreinte de sa personne, au point qu’en toute justice ce bien sera possédé dorénavant comme sien et qu’il ne sera licite à personne de violer son droit en n'importe quelle manière.

La force de ces raisonnements est d’une évidence telle, qu'il est permis de s'étonner comment certains tenants d'opinions surannées peuvent encore y contredire, en accordant sans doute à l’homme privé l’usage du sol et les fruits des champs, mais en lui refusant le droit de posséder en qualité de propriétaire ce sol où il a bâti, cette portion de terre qu'il a cultivée. Ils ne voient donc pas qu’ils dépouillent par là cet homme du fruit de son labeur ; car enfin ce champ remué avec art par la main du cultivateur a changé complètement de nature ; il était sauvage, le voilà défriché ; d’infécond il est devenu fertile ; ce qui l’a rendu meilleur est inhérent au sol et se confond tellement avec lui, qu’il serait en grande partie impossible de l’en séparer. Or, la justice tolérerait-elle qu’un étranger vînt alors s’attribuer cette terre arrosée des sueurs de celui qui l’a cultivée ? De même que l’effet suit la cause, ainsi est-il juste que le fruit du travail soit au travailleur. C’est donc avec raison que l’universalité du genre humain, sans s’émouvoir des opinions contraires d’un petit groupe, reconnaît, en considérant attentivement la nature, que dans ses lois réside le premier fondement de la répartition des biens et des propriétés privées ; c’est avec raison que la coutume de tous les siècles a sanctionné une situation si conforme à la nature de l’homme et à la vie calme et paisible des sociétés. — De leur côté, les lois civiles qui tirent leur valeur, quand elles sont justes, de la loi naturelle, confirment ce même droit et le protègent par la force. — Enfin l’autorité des lois divines vient y apposer son sceau, en défendant, Sous une peine très grave, jusqu’au désir même du bien d'autrui. Tu ne convoiteras pas la femme de ton pro-