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ALPHONSE DAUDET

raux ou les Chambres et les propos qui s’y tiennent ne sont que larves, masques, fantômes. Telle habitude, tel vice, telle particularité de langage, de costume, de gourmandise ou de luxure de Démosthène, de Cicéron, de Talleyrand, de Napoléon Ier prennent à nos yeux une importance extrême et un relief « confidentiel ». C’est ce que les pédants appellent la « bonhomie » ; les autres, plus justement, l’« humanité ». Or, ce qui nous intéresse dans l’histoire de notre semblable, c’est ce par quoi il différa, quelle que fût, d’ailleurs, la différence.

Lorsqu’il créait, mon père voyait. Lorsqu’il écrivait, il entendait. Un certain nombre de médecins du nouveau modèle sont venus l’interroger là-dessus, et ont simplifié en phrases pédantes une méthode naturelle et complexe. On nous ressasse indéfiniment la distinction scholastique entre « auditifs » et « visuels », catégories qui n’ont rien d’absolu et ne valent que comme facilité clinique. S’il entendait, il parlait aussi. Il essayait le ton de ses dialogues et l’harmonie de ses descriptions. L’horreur de la verbosité, qui sans cesse augmenta chez lui, le portait, surtout dans ses derniers ouvrages, à une concision pittoresque, où chaque sensation a son éclair brusque, où la réflexion ne paraît pas, émane en silence