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VIE ET LITTÉRATURE

Au chapitre « le Marchand de Bonheur » je montrerai ce qu’il entendait par ces mots « la science de la vie ».

Les intermèdes des « petits cahiers » sont de ravissants, de fulgurants paysages. Là comme ailleurs il ne marquait que les dominantes. Ce qui nous saisit et nous trouble dans un spectacle de nature, est peint, en quelques mots justes, précis et vibrants, aussi prompts, aussi aigus que la sensation elle-même. Comme je feuilletais ces chefs-d’œuvre, je lui dis un jour : « Tu me rappelles le vieil Hokousaï, fou de dessin, qui affirmait, au déclin de l’âge, connaître à peu près la forme des créatures vivantes, spécialiser la ligne et le point. » Il répliquait : « Je n’en suis pas là. Elle m’est amère la disproportion entre ce que ma plume détermine et ce qu’a conçu mon esprit. J’ai la souffrance de l’inexprimable. Comment rendre sensible le battement plus vif de nos artères devant un arbre doré par l’automne, un petit lac où la lumière se décompose, un horizon aux lignes pures, un ciel d’orage, cuivré, noirci, sombre abîme dans le bleu du ciel ? Comment exprimer la palpitation du souvenir autour de l’heure, ce qu’il y a de nous dans les choses, ce qui pleure et sourit avec elles ? Par mes lèvres se sont enfuies tant d’impressions rebelles à la forme ! »