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ALPHONSE DAUDET

ses épaules, entraînant ma mère. Le soir, on mangeait la récolte.

Il racontait comment, dans une semblable partie avec le sculpteur Zacharie Astruc, dont il aimait l’indépendance et le talent robuste, il s’était, en luttant, cassé la jambe. On le rapporta gémissant, fiévreux « préoccupé surtout de ne pas faire gronder son camarade ». Ce même soir d’été lourd, orageux, les journaux transmettaient une terrible nouvelle : la déclaration de la guerre franco-allemande. Il n’eut plus qu’une idée : guérir au plus vite ; être en état de servir son pays : « Période horrible et stupéfiante, où chaque courrier annonçait une défaite, où les visages de paysans reflétaient la crainte et la bassesse ! » Enfin, il fut debout et capable de tenir un fusil 1

Plus tard, l’état de sa santé ne lui permit plus que des promenades dans les allées du grand parc que connaissent tous nos amis. Il n’est pas un banc, pas une sente où ne soit le souvenir de mon bien-aimé. Son allure à mon bras, à celui de mon frère, demeurait alerte et rapide. Il ne s’arrêtait que pour allumer sa petite pipe, expert comme un gardien de Camargue aux ruses du vent et de la poussière, amoureux des « bons petits abris bien chauds », s’intéressant aux fleurs, aux plates-bandes, aux légumes, heureux