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VIE ET LITTÉRATURE

giques. Les deux amis ne se quittaient pas. Ils enchaînaient les souvenirs. Ce furent des heures merveilleuses et qui nourriraient un volume. L’auteur de l’Italie, qui fut divinatoire et souleva tant de colères, préparait un grand travail, qui doit toucher à l’achèvement, sur la Psychologie comparée des Européens. Il « parlait » les principaux chapitres avec une verve à la Diderot, une clarté, une puissance, une érudition qui nous éblouirent. Professeur de l’impératrice Eugénie, il « faisait voir » les Tuileries et la société, les personnages et l’entourage, dans un relief à la Hogarth.

De tous ces détails, souvent difficiles à classer, sort, je l’espère, pour le lecteur cette idée nette qu’Alphonse Daudet écrivit ses livres avec le suc même de l’arbre humain. C’est une sottise courante que d’assimiler le réalisme à la photographie. Tout organisme a sa réfringence, bien plus compliquée que celle d’un objectif, et l’organisme de mon père fut certes un des milieux les plus délicats et impressionnables où pût se dévier le monde extérieur.

Il avait une oreille d’une finesse et d’une justesse exquises. À une table de vingt couverts, il démêlait les conversations, même tenues à voix basse. Il surprenait jusqu’aux bavardages des enfants. Les moindres bruits de la nature se gra-