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VIE ET LITTÉRATURE

casemate et l’horreur silencieuse des braves qui, le lendemain, se faisaient tuer. » Lui, si passionné de justice, si soucieux des droits de toute créature, mais si habile aussi à démêler l’intrigue, ne pouvait se faire à l’idée qu’on désorganisât une nation sans preuves immédiates et éclatantes. Celui qui vend sa patrie lui semblait indigne de toute pitié. Le matin de la catastrophe, je lui promis que Rochefort viendrait en personne le confirmer dans sa certitude. L’idée de cette visite l’enchanta, car il adorait le grand pamphlétaire, lui reconnaissait « un don d’observation unique, égal à la divination géniale de Drumont ». — « Cela tient sans doute à son long exil. Il voit et juge les choses de loin. Il a le flair de nos intérêts. »

Ce flair là, il l’avait lui-même, quoiqu’il méprisât la politique actuelle de bateleurs et de pharisiens. Un chapitre de son dernier roman, Soutien de famille, exprime son opinion là-dessus : « C’est par les couloirs de la Chambre que se vide le sang de la France. » Ce qui l’irritait plus que tout, c’était la mauvaise foi des partis, l’hypocrisie universelle. Nul n’exprima mieux le dégoût des « effets de tribune », des tirades et gestes de cabotins, de ce verbiage macaronique qui conjugue le verbe « gouvernementir ». Si homme du monde aima le populaire d’un amour vrai et non fardé, ce fut bien lui. Je