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ALPHONSE DAUDET

nature : le goût du risque, l’amour des humbles. Pendant plusieurs semaines, il fut hanté par la défense de Tuyen-Quan, par Dominé, par Bobillot. Sa faculté fantastique de reviviscence lui permettait d’entrer dans le rôle de chaque personnage, de suivre les affres, les défaillances, les reprises : « Toi qui aimes la philosophie, fais donc deux monographies, une du scrupule, et une du risque. Montre les points de contact. De forts exemples. Ne crains pas d’appuyer. Le vieux père te donnera des images. » Quand, un mois avant sa mort, à mon retour d’un stage chez les Alpins, je lui racontai avoir fait la connaissance du capitaine Camps, un de Tuyen-Quan, sa joie fut infinie : « Tu n’as pas su le faire parler. Que mangeaient-ils ? Quand dormaient-ils ? Les cris des Chinois dans la nuit ! Les mines successives ! Raconte ! raconte. » Hélas ! je n’ai point sa faculté de « feuilleter un homme comme un livre ».

Cette expression lui plut toujours. Elle justifiait sa méthode. Une de ses dernières satisfactions fut la dédicace de l’aventureux Grosclaude, en tête du livre Madagascar : « Grosclaude, un Parisien, le fin causeur, l’artiste délicat. Il est tout énergie. Il ne connaissait pas ses ressources. Ah ! l’admirable race française ! »

La guerre de 1870 fut pour lui une révélation. Elle le fit homme. Il racontait avoir eu, sous la