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ALPHONSE DAUDET

ture française pour citer les Dieux de mon père, ceux qu’il adorait, invoquait, auxquels, dans les heures tristes, il demanda le réconfort. Miracle de l’intelligence ! Notre ami est sombre. Il souffre. Nous hésitons à l’interroger, connaissant trop bien sa réponse. Tout à coup un nom prononcé, une citation par un de nous, raniment son regard autant que l’arrivée d’un ami ou un air de musique. Aussitôt il s’informe, il s’exalte. Il lui faut le livre, la page. Lucien ou moi courons à la bibliothèque. Le plus souvent, ma mère se dévoue, parce qu’elle a la voix nette et douce et point précipitée. Voici les Confessions, les Mémoires d’outre-tombe ; dès les premières phrases, mon père n’est plus le même. Il approuve et savoure, la tête inclinée, fixant sa petite pipe anglaise, dans une attitude de méditation. Il interrompt. Il veut qu’on recommence. Il interpelle l’auteur, il discute. L’enthousiasme a chassé la souffrance et la morosité, ranimé les flammes de la jeunesse. C’est à nous d’écouter maintenant, et le temps passe comme un rêve et ces grandes paroles d’autrefois retrouvent une vie furtive au contact d’un pareil magicien. Ainsi communient à travers les âges ceux qui aiment et recherchent la beauté.

La curiosité d’un tel cerveau étant universelle, je ne saurais la déployer. C’est le malheur d’une