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ALPHONSE DAUDET

manuscrits rouverts. Ces parchemins conservés dans les couvents et les bibliothèques ont pour lui l’autorité d’oracles, de messages venus du passé. Il revêt de toges et de cothurnes ses arguments modernes. Il greffe, sur son arbre touffu, les feuilles sibyllines. La Renaissance, mon chéri ; as-tu jamais compris toute la valeur de ce mot superbe ? le grand Pan ressuscite. Un immense frisson, issu des vieux bouquins poudreux, traverse les esprits bouillonnants. Et que le Gascon y aille, dit Montaigne, si le Français n’y peut aller ! Mais le latin aussi, le grec aussi. Que le beau se montre, que le laid se cache ! comme chante Mistral. Le vois-tu, le bienheureux Michel, qui nous montre Michel et reconnaît en lui tous les hommes, le vois-tu dans sa librairie confortable, devant la grande nature, trépignant d’enthousiasme, gesticulant en bon méridional au souvenir d’un vers de Lucrèce qui rejoint, corrobore sa pensée ; l’antiquité bat selon son cœur ; la soif de savoir le dévore, tandis qu’il a faim de sentir. Par-dessus tout, l’aveu le presse, le besoin de s’épancher, de se raconter, si vif chez les natures de chez nous. »

Ces fragments de causerie sont intacts et sertis dans mon trésor spirituel. Je m’aperçois, hélas, qu’il y manque le chaud accent, le regard vainqueur. Comme il arrive dans les fréquents entretiens, nous retrouvions les mêmes sujets, mais