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VIE ET LITTÉRATURE

Mais, dans les élans les plus acerbes, rien de trop dur. « Implacabilité », ce terme le rendait rêveur. Tout travers lui semblait corrigible, tout vice remédiable ; à toute faute, il cherchait son excuse. Dans sa vie si simple, au grand jour, j’ai trouvé les plus beaux arguments en faveur de la liberté humaine et des ressources du monde moraL.

Et celui auquel on a puérilement reproché de ne pas émettre d’idées métaphysiques, me parut, au contraire, incessamment troublé par ces grands problèmes intérieurs, qui sont tantôt mirages de l’imagination et tantôt ressorts de nos actes. Parmi les philosophes, il admirait Descartes et Spinoza, tant pour leur lucidité que pour leur enquête méticuleuse sur le jeu des passions humaines. Si son amour de la vie s’étonnait devant la forme extra-terrestre de ces mathématiques appliquées à la chair et l’esprit, s’il préférait la méthode de Montaigne, il aimait aussi, comme il disait, à « respirer sur les hauteurs » de l’Éthique. Il répétait souvent qu’il eût été curieux pour un Claude Bernard d’annoter de remarques physiologiques ces corollaires sur les mouvements de l’âme.

Il avait pour Schopenhauer un goût très vif. Cette alliance de l’humour incisif et de la dialectique, ce tissu de raisons noires et d’aphorismes pittoresques, l’enchantaient. Je lui en lisais