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ALPHONSE DAUDET

inquiétude. Il nous déroute par un rictus amer, l’émotion à peine engagée. Il raille notre cœur et son cœur. Doué d’une harmonie merveilleuse, il désordonne ses sensations et, comme on s’approchait pour le plaindre, il nous échappe par une grimace. Mon père savait les routes de ses ancêtres. Il parlait souvent d’une chanson du nord où pleure celle qui revoit son mari, après une longue absence. La même, dans la version méridionale, ne peut s’empêcher de sourire. Par cette brève allégorie il se définissait lui-même.

Je lis, dans les « petits cahiers », un reproche aux maris qui racontent à leur jeune femme leurs aventures d’autrefois. « Imbécile, tu verras plus tard », conclut la note. Sous sa forme simple, voici l’ironie. Elle est le masque de la pitié. Le tableau des « ratés » dans Jack, le banquet des vieilles gardes dans Sapho, telle page vireuse de l’Immortel sont l’extension de ce penchant à émouvoir par la voie biaisée, si la voie directe semblait trop battue, C’est la ressource d’un cœur ardent qui a la pudeur des pulsations trop vives, apparentes.

Par là, l’auteur des Femmes d’Artistes, de Tartarin, du Nabab et de l’Immortel atteignit à la haute satire, qui n’est qu’une sorte de lyrisme inverse, la revanche des âmes généreuses. Le poète irrité et blessé fait vibrer la corde d’airain.