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VIE ET LITTÉRATURE

noëls, où les stances sourient dans les larmes, les riches ballades des Îles d’Or, les cris de passion de la Grenade entr’ouverte. La voix juste et chaude de mon père domine, me révèle la poésie par le rythme. L’enthousiasme est sur les figures. Le vrai soleil luit dans l’auberge.

C’est cette frénésie, ce miroitement de joie qui font de Tartarin, de Roumestan des livres si rares, de véritables fruits du sol, chauds, savoureux, juteux et brillants. Les caractéristiques de mon père étincelaient dans sa vie, avant d’orner ses livres. L’un d’eux ouvert, j’entends son accent doux et grave. Comment séparer le souvenir de ce qu’admirera l’avenir !

Aussi son ironie fut-elle la fleur de sa tendresse. Par elle, il échappait au convenu, à l’apprêté de la compassion. Par elle, il évitait l’artifice. Doué d’un esprit spontané, il fuyait le comique vulgaire. Doué d’une sensibilité souvent âpre et cruelle, il la tempérait de sourires, il l’apaisait avec ces détours qui laissent l’âme du lecteur émue et frissonnante, au lieu de l’inonder de fiel. On l’a comparée au grincement d’Henri Heine, cette ironie du pur génie latin. De tels parallèles sont presque toujours faux. Heine fut un poète exquis, mais dépaysé, mais nomade, sans adhérence avec un sol propre, souffrant de se chercher une nature. Il rend le monde responsable de son