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VIE ET LITTÉRATURE

Il avait une façon de raconter qui n’appartenait qu’à lui, que n’oublieront jamais ses amis ni ceux qui une fois l’ont entretenu. Son récit suivait le souvenir, s’y adaptait comme un vêtement mouillé. Il reproduisait dans leur ordre les faits et les sensations, supprimant les intermédiaires, ne laissant comme il disait que « les dominantes ».

« Les dominantes », ce terme revenait souvent sur ses lèvres. Il entendait par là les parties essentielles, indispensables, les sommets du livre ou de la nouvelle : « c’est là, ajoutait-il, qu’il faut faire porter la lumière ».

Il répétait aussi : « Les choses ont un sens, un endroit par où on peut les prendre. » Et dans ce vague terme de choses, il enfermait l’animé comme l’inanimé, ce qui se meut et s’exprime, comme ce qui s’agite ou se pèse.

Nous pénétrons ainsi le secret de sa méthode, moins simple qu’elle ne le semble d’abord.

Amant du réel et du vrai, il n’interrompit jamais sa quête. Tant qu’il put sortir, il fréquenta les milieux les plus divers, ne négligeant aucune occasion, surtout ne méprisant personne. Il détestait singulièrement le mépris comme une des formes de l’ignorance. Qu’il s’agît d’un homme de cercle, dans un salon, ou d’un artiste ou d’un malade, qu’il s’agît d’un indigent sur la route, d’un garde forestier, d’un passant, d’un ouvrier