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ALPHONSE DAUDET

son empreinte en ce qu’elle offre de touchant et d’implacable. Il est dur de se scruter sans relâche, il est dur d’inscrire sans réserve tout ce que l’on éprouve, tout ce que l’on subit. Les jeux de la vie et de la mort, la lente attaque de nos tissus, le déroulement de nos espoirs, de nos désillusions, sont un effroi pour la plupart des hommes. L’ultime terreur est de nous-mêmes. C’est cette terreur, ce sourd besoin de s’évader de la conscience qui nous rend somnambules, hésitants devant la confession que notre cœur fait à notre cœur par le silence des nuits et des jours, comme nous menons notre vie obscure. Les plus forts demeurent des enfants dans le berceau d’une ignorance qu’ils engourdissent volontairement, qu’ils maintiennent muette et ténébreuse.

Montaigne, Pascal et Rousseau, trois admirations forcenées de mon père. Il était de cette grande famille. Son Montaigne ne le quittait pas, il annotait Pascal, il défendait Rousseau contre les reproches honorables de ceux qui ont honte de la honte, qui se détournent du charnier. Sans trêve il descendait en ces puissants modèles, se perdait dans leurs cryptes, consultait les silences redoutables qui s’étendent entre leurs aveux. Il prenait une de leurs pensées et vivait avec elle comme avec une amie, comme avec une sœur oubliée dont il examinait les ressemblances, les