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ALPHONSE DAUDET

moire. Le poète y signale : « ce merveilleux frisson de sensibilité, présage du génie, s’il ne sombre dans la passion. » Ce frisson de sensibilité, mon père l’estimait la source de toute œuvre durable. Dans certains articles nécrologiques, par ailleurs bien intentionnés, j’ai lu cette phrase qui m’a fait sourire qu’« Alphonse Daudet n’était point un penseur ». Penseur à la façon pédante, faiseur d’abstractions et jongleur du vague ; cela, certes, il ne le fut jamais. Mais j’ai là, sur ma table, ses cahiers de notes, où journellement, infatigablement, avec un scrupule et une patience incroyables, il inscrivait l’incessant travail de son cerveau. On trouve de tout dans ces petits livres, recouverts de moleskine noire, griffonnés en tous sens, raturés sur la page, lorsque cette page avait servi. C’est d’abord un tumulte, un bourdonnement, un frémissement singulier et j’imagine que cette belle âme s’est révélée là tout entière, avec ses soubresauts, ses tourbillons, départs et retours, ses flammes brèves ou ses nappes de feu. Puis, avec beaucoup d’attention, on distingue une sorte de rythme, un mouvement harmonieux de l’esprit qui part de la sensation simple, s’inspire de tableaux pittoresques, visions de voyages, rêves ou souvenirs, traverse ces régions colorées et sonores où s’accomplit le miracle de l’art, où une impression vive devient, par le mystère