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HIER ET AUJOURD’HUI

même que le succès me favorisât, « ce qui est rare ». Il joignit à cela quelques préceptes très simples, mais si vrais, sur la sincérité et l’effort du style, la part de l’observation et de l’imagination, l’architecture d’une œuvre, la méthode et le relief des personnages et des tempéraments.

Je l’écoutais avec religion. Je comprenais qu’il me livrait là le long résultat de sa patience et le meilleur de son esprit. Vers cette époque, le soir, de chambre à chambre et de lit à lit, nous lisions à haute voix du Pascal. Il m’offrait ce maître sublime, à côté de son cher Montaigne, non comme un exemple trop haut, mais comme un excitant perpétuel. Il m’entretint aussi de sa souffrance, d’une façon presque philosophique, afin de ne point m’attrister, et il m’insinua que la littérature était un soulagement pour une multitude d’âmes inexprimées qui trouvent en elle un miroir et un guide. Il me cita les modèles plus proches de Flaubert, des frères de Goncourt. Il conclut par un éloge de la vie sous toutes ses formes, même douloureuses.

La lampe baissait, mais éclairait encore son fier et délicat visage. Je suivais ses paroles jusqu’à leur source et aux motifs profonds qu’il me taisait, avec une sorte de confiance sacrée. Il y avait entre nous deux un peu de joie et beaucoup de crainte. Je ranime, en les évoquant, ces heures décisives.